top of page
Parties Prenantes     2020

Le visible n’est pas une image, ne fonctionne pas comme une image. Il n’est pas ce qui est devant nous, mais ce qui nous entoure, nous précède et nous suit. Sous les yeux le visible se présente comme cette absence de bords et de cadre qui n’est ni un volume ni un simple contenant, mais une vibration, un suspens à l’intérieur duquel le temps a lieu, à des rythmes variables. Ces rythmes du temps forment (tissent) la trame de l’apparence. Le visible est l’ensemble de tous les récitatifs qui fabriquent l’apparence. Ce sont des réseaux, des  enchevêtrements, des systèmes de marelles infinis, des puissances d’échos, de ricochets. À l’intérieur de ces systèmes qui tous ensemble forment une gigantesque et indéfaisable pelote, il y a quantité de trous, de cachettes, de fils non tirés. Chaque animal habite le réseau des apparences à sa façon, c’est à dire qu’il s’y cache. La cachette est la règle d’or de l’habitation du monde où, pourtant, tout finit par se voir. Le visible recèle le caché, ils sont inséparables et l’un est la condition de l’autre. Le caché est pour ainsi dire l’inimité du visible, et l’on pourrait même dire qu’il est son penchant.

 

Vivre en effet, c’est pour chaque animal traverser le visible en s’y cachant: des animaux, la plupart du temps, on ne voit qu’un sillage et l’espace de nos rencontres avec eux, lorsqu’ils sont sauvages, est toujours celui de la surprise et de la déception. Ils surgissent, ils sont dans l’ordre du rugi, mais rarement pour qu’à partir de là un déploiement soit rendu possible et s’enclenche. L’affect de la rencontre avec eux reste liés aux régimes de l’irruption, du suspens bref et de la fuite. Au caché, d’où ils viennent, ils retournent et le plus souvent le plus vite possible, avec une incroyable et élégante dextérité.

BAILLY, Jean Christophe, Le parti pris des animaux, Christian Bourgeois éditeur, 2013.

bottom of page